V

 

Fredonnant doucement, l’homme entretenait le petit foyer qu’il avait allumé sur le sol du grand hall, au pied des vaisseaux alignés dans l’obscurité comme les troncs d’arbres énormes dans une forêt silencieuse et pétrifiée. Gestra Ishmethit surveillait les engins dont il avait la charge au milieu des ténèbres profondes que contenait Pitance.

Pitance était un énorme bloc de matière aux contours irréguliers. Il faisait deux cents kilomètres de diamètre dans sa plus petite largeur, et son volume était constitué de fer pour quatre-vingt-dix-huit pour cent. C’était le vestige d’une catastrophe survenue plus de quatre milliards d’années auparavant, à l’époque où la planète dont il constituait une partie du noyau avait été heurtée par une autre masse géante. Éjecté par ce cataclysme de son système solaire, il avait erré dans le milieu interstellaire durant un quart de la durée de vie de l’univers, sans être capturé par un autre puits gravifique, mais se trouvant subtilement influencé par tous ceux à proximité desquels il était passé. Il avait été découvert dérivant dans l’espace profond mille ans plus tôt par une UCG qui suivait une trajectoire excentrique entre deux systèmes stellaires et on lui avait accordé la brève attention que méritait sa composition simple et homogène, puis on l’avait laissé errer, dûment homologué et étiqueté, intact, mais baptisé Pitance.

Lorsque le moment vint, cinq cents ans plus tard, de démanteler la colossale machine de guerre que la Culture avait assemblée dans le but de détruire celle des Idirans, Pitance s’était soudain vu attribuer un rôle.

La plupart des vaisseaux de guerre de la Culture avaient été désarmés et démantelés. Quelques-uns, démilitarisés, avaient été conservés en vue de servir de systèmes de livraison express pour de petites masses de matière – des humains, par exemple – dans les rares occasions où les transmissions d’informations ne suffisaient pas à régler un problème ; un petit nombre avaient été conservés intacts et opérationnels ; deux cents ans après la fin de la guerre, le nombre de vaisseaux militaires pleinement opérationnels était encore plus réduit qu’avant le début du conflit (bien que, comme les détracteurs de la Culture ne se lassaient jamais de le faire ressortir, l’Unité de Contact Générale moyenne, tout en se prétendant absolument pacifique, était plus que de taille à affronter la grande majorité des vaisseaux outremondiers qu’elle était appelée à rencontrer au cours de sa carrière).

N’ayant jamais été une civilisation à prendre trop de risques, et fière de son zèle à se couvrir en toutes circonstances, la Culture ne s’était pas défaite de tous les vaisseaux restants ; quelques milliers – moins de un pour cent du total initial – avaient été maintenus en réserve, dûment armés à l’exception de leur complément habituel de têtes explosives munies de Déplaceurs (qui représentait, au demeurant, un système d’armes relativement mineur) que ces vaisseaux et d’autres unités pourraient fabriquer eux-mêmes en cas de mobilisation. La plupart des bâtiments mis en réserve étaient conservés dans toute une série d’Orbitales de la Culture choisies de telle sorte que, si une situation d’urgence demandait leur intervention, aucun point de la grande galaxie ne s’en trouverait à plus d’un mois de voyage.

Montant la garde contre des menaces et des éventualités que la Culture elle-même avait du mal à définir, certains de ces vaisseaux stockés se trouvaient abrités non pas à proximité d’Orbitales densément peuplées ni des voies fréquentées par les vaisseaux de croisière et les VSG en visite, mais en des endroits aussi éloignés que possible, dans les espaces caverneux vides et glacés de la lentille galactique ; des endroits négligés, secrets et cachés, à l’écart des sentiers battus, des lieux dont personne, peut-être, ne pouvait même soupçonner l’existence.

Pitance était, par choix, l’un de ces lieux.

Le Véhicule Système Général Hôte Indésirable, accompagné d’une flottille de vaisseaux de guerre, avait été envoyé à la rencontre de la masse errante, froide et sombre. Il l’avait trouvée exactement là où il avait été prédit qu’elle serait, et le travail avait commencé aussitôt. Tout d’abord, une série d’immenses salles avaient été creusées dans ses entrailles, puis une masse calibrée et façonnée avec précision à partir des matériaux extraits de l’un de ces hangars géants avait été lancée par le VSG, avec une précision de l’ordre du millimètre, contre Pitance, créant un nouveau petit cratère à la surface de ce monde, exactement comme s’il avait été heurté par un nouveau fragment, plus petit, de matière interstellaire.

L’opération venait de ce que Pitance ne tournait pas exactement à la bonne vitesse et ne se dirigeait pas exactement là où le désirait la Culture. La collision soigneusement préparée rectifia les deux paramètres à la fois. Pitance se mit à tourner un peu plus vite pour engendrer une gravité artificielle intérieure plus importante, et sa trajectoire fut déviée légèrement pour éviter un système solaire qui se serait trouvé sur son chemin dans quelque cinq mille cinq cents ans.

Un certain nombre de Déplaceurs géants avaient été insérés dans la texture de Pitance, et les vaisseaux furent Déplacés sans heurts, l’un après l’autre, à l’intérieur des espaces géants créés par le VSG. Pour finir, un nombre et une variété effrayants de systèmes d’armes et de détection furent mis en place, dûment camouflés, à la surface et à l’intérieur de Pitance, tandis qu’une nuée d’engins minuscules, noirs, presque invisibles, mais d’une puissance apocalyptique, était placée en orbite autour de la masse lentement tournoyante, dans le but de surveiller l’arrivée d’hôtes indésirables et de les accueillir – s’il était besoin – par une destruction.

Une fois son travail achevé, Hôte Indésirable s’était retiré, emmenant avec lui une grande partie du minerai de fer extrait des entrailles de Pitance. Il laissait derrière lui un monde qui – mis à part son cratère supplémentaire tout à fait plausible – semblait vierge ; même sa masse globale était presque exactement la même qu’auparavant, la différence correspondant à la collision subie, dont les débris flottaient paresseusement dans l’espace selon ce qu’auraient exigé les lois de la gravité, une petite partie d’entre eux se trouvant capturés par le faible champ gravitationnel de ce petit monde et fournissant incidemment un écran parfait pour dissimuler la nuée de petits appareils de surveillance aux corps noirs.

Pour veiller sur Pitance à proximité de son centre de gravité, il y avait un Mental discret, délibérément conçu pour apprécier une vie tranquille et se faire une fierté de veiller passivement mais jalousement sur une quantité presque incalculable de puissance agressive latente qu’il vaudrait mieux ne jamais déchaîner.

Les Mentaux spécialisés – et devenus rares – des bâtiments de combat concernés avaient été consultés sur leur sort comme les autres au moment voulu, cinq cents ans plus tôt ; ceux qui demeuraient en réserve à la base de Pitance avaient déclaré qu’ils préféraient dormir jusqu’à ce que l’on ait besoin d’eux, et étaient préparés à accepter l’idée d’un long sommeil, qui s’achèverait peut-être par un réveil ne débouchant que sur le combat et la mort. Ils étaient tous d’accord pour n’être réveillés, autrement, qu’au moment où la Culture envisagerait d’entrer dans la Sublimation ultime, si tel devait être un jour son choix. Jusque-là, ils se contenteraient de sommeiller dans l’obscurité de leurs hangars, tels les dieux de la guerre d’un passé courroucé veillant implicitement sur la paix du présent et la sécurité du futur.

Cependant le Mental de Pitance veillait sur eux tous et considérait le silence résonnant et la noirceur tachetée de soleil des espaces séparant les étoiles, éternellement content et ineffablement satisfait de l’absence de tout ce qui aurait pu avoir un caractère même lointainement intéressant.

Pitance était un lieu particulièrement sûr, et Gestra Ishmethit aimait les endroits sûrs. Celui-là était vraiment solitaire, et Gestra Ishmethit avait toujours été affamé de solitude. C’était à la fois un lieu important et un lieu que nul ne connaissait, auquel personne ne s’intéressait et ne s’intéresserait probablement jamais, et cela aussi convenait à Gestra Ishmethit, car il était une créature étrange, et s’acceptait comme il était.

De haute taille, dégingandé et maladroit comme un adolescent malgré ses deux cents ans, Gestra avait l’impression d’être resté toute sa vie en dehors de tout. Il avait essayé les transformations physiques (avec, pour résultat, une belle apparence pendant quelque temps), il avait essayé de devenir femme (une très jolie femme, lui avait-on dit plusieurs fois), il avait également tenté de s’éloigner de l’endroit où il avait grandi (en parcourant la moitié de la galaxie pour aller dans une Orbitale radicalement différente mais en tout point aussi agréable). Il avait essayé de vivre dans le rêve (prince triton dans un vaisseau spatial empli d’eau, il devait combattre un esprit mécanique collectif et malfaisant tout en courtisant, d’après le scénario, une princesse guerrière appartenant à un autre clan). Mais tout ce qu’il avait entrepris lui avait toujours causé un grand sentiment de gêne : avoir belle apparence lui était plus angoissant qu’être difforme et dégingandé, car son corps lui pesait comme un mensonge permanent ; c’était la même chose quand il était femme, en plus de l’embarras que cela lui causait, comme s’il avait kidnappé, de l’intérieur, le corps de quelqu’un d’autre ; changer d’endroit le terrifiait à l’idée qu’il fallait qu’il explique aux autres pourquoi il avait éprouvé le besoin de partir de chez lui ; et vivre jour et nuit dans un rêve à scénario lui semblait mauvais ; il avait ressenti un sentiment d’horreur à l’idée de s’immerger dans ce monde virtuel aussi complètement que son triton dans son monde aquatique, craignant de perdre le peu de prise qu’il avait, dans ses meilleurs moments, sur la réalité, et vivant le scénario avec le sentiment insidieux qu’il n’était qu’un poisson rouge dans l’aquarium de quelqu’un d’autre et qu’il ne pouvait que nager en cercles dans les ruines enjolivées de son château submergé. Finalement, à sa grande mortification, la princesse avait rejoint le camp de la ruche mécanique.

La vérité nue était qu’il n’aimait pas parler aux gens ; il n’aimait pas se mêler aux autres ni même penser à eux comme à des individus. Il ne donnait le meilleur de lui-même que lorsqu’il était complètement à l’écart des gens ; il ressentait alors un vague désir de compagnie qui n’était pas déplaisant, un désir qui disparaissait – pour faire place à une angoisse nauséeuse – dès l’instant où il semblait près d’être comblé.

Gestra Ishmethit était anormal. Bien qu’il fût né d’une femme ordinaire et saine (et d’un homme également ordinaire) dans une famille ordinaire d’une Orbitale tout à fait ordinaire, bien qu’il eût reçu une éducation parfaitement traditionnelle, un accident de santé, ou peut-être quelque conjonction presque inimaginable entre son caractère et son éducation, avait fait de lui le genre de personne que les gènes de la Culture, soigneusement tempérés, ne produisaient pratiquement jamais ; un inadapté dans toute sa splendeur, quelqu’un de plus rare encore, dans la Culture, qu’un bébé affligé d’une malformation physique.

Cependant, s’il était parfaitement simple de remplacer ou de faire repousser un membre défectueux ou un visage difforme, c’était une autre histoire lorsque l’anomalie venait de l’intérieur. Gestra avait toujours accepté la chose avec une philosophie que les gens, se disait-il parfois, devaient considérer comme encore plus monstrueuse que sa timidité native presque pathologique. Pourquoi ne se faisait-il pas soigner ? demandaient ses quelques parents et relations. Pourquoi ne demandait-il pas l’extraction de cette étrange aberration, tout en restant lui-même le plus possible ? L’opération n’était peut-être pas facile, mais elle se ferait sans douleur, probablement durant son sommeil ; il ne se souviendrait de rien à son réveil, et il pourrait mener, par la suite, une vie normale.

 

Son cas vint à la connaissance des IA, drones, humains et Mentaux qui s’intéressaient à ce genre de chose ; ils l’assaillirent bientôt pour avoir une chance de le traiter ; c’était un tel défi pour leur science ! Il finit par avoir si peur de leurs demandes tour à tour aimables, enthousiastes, enjôleuses, brutales ou tout simplement suppliantes de lui parler, de le conseiller ou de lui expliquer les mérites de leurs méthodes et traitements respectifs qu’il cessa de répondre à son terminal et devint pratiquement un ermite dans l’un des pavillons d’été du domaine familial, incapable de trouver les mots pour expliquer que, malgré tout ce remue-ménage – et justement à cause de ses précédentes tentatives pour s’intégrer à la société et parce qu’il avait appris, grâce à elles, un certain nombre de choses sur lui-même –, il voulait demeurer qui il était et non la personne qu’il serait s’il perdait le seul trait qui le distinguait de tout le monde, même si cette décision semblait perverse à son entourage.

Finalement, il avait fallu l’intervention du Mental de Moyeu de son Orbitale d’origine pour qu’une solution soit trouvée. Un jour, un drone du Contact était venu lui parler.

Il avait toujours eu plus de facilité à parler aux drones qu’aux humains, et celui-là, sous des dehors de négociateur efficace, s’était montré charmant ; d’une manière détachée qui l’avait mis en confiance. À l’issue d’une longue conversation, probablement la plus longue que Gestra ait jamais eue avec quiconque, il lui avait offert une grande variété de postes où il pourrait travailler sans personne autour de lui. Et Gestra avait choisi celui où il serait le plus seul, où il se sentirait le plus isolé, où il pourrait allègrement aspirer à des contacts humains qu’il était incapable de supporter.

C’était, tout compte fait, une sinécure ; il avait été précisé depuis le début qu’il n’aurait, en réalité, rien à faire sur Pitance. Il fallait simplement qu’il soit là, présence humaine symbolique au milieu de la masse d’armes dormantes, témoin de la vigilance silencieuse du Mental qui veillait sur les machines assoupies. Et Gestra Ishmethit s’accommodait parfaitement du manque de responsabilité de ce poste. Il y avait à présent un siècle et demi qu’il résidait ici, sans s’être absenté une seule fois, sans avoir reçu un seul visiteur, sans avoir une seule fois été malheureux de ce fait. Certains jours, il s’était même senti heureux.

Les vaisseaux étaient alignés par groupes, lignes et colonnes de soixante-quatre unités dans leurs hangars géants et obscurs. Ceux-ci étaient soumis au vide et au froid de l’espace, mais Gestra avait découvert que, s’il apportait certains déchets de ses quartiers d’habitation dans un sac gélichamp qui les tenait au chaud et s’il les déversait sur le sol glacé de l’un de ces hangars, en y soufflant de l’oxygène à partir d’un réservoir pressurisé, il pouvait allumer un feu décent, modeste, certes, mais qui se présentait sous la forme d’une petite flamme blanche ou jaune en dégageant un nuage de fumée et de suie rapidement dissipé. Il avait même appris qu’en ajustant le jet d’oxygène et en l’orientant à l’aide d’un embout de sa conception qu’il avait bricolé, il pouvait obtenir un véritable brasier, un faible rougeoiement ou toute configuration intermédiaire.

Il savait que le Mental n’aimait pas le voir agir ainsi, mais c’était tellement amusant, et il ne faisait pratiquement rien d’autre qui contrariât le Mental. Sans compter que ce dernier reconnaissait lui-même que la quantité de chaleur ainsi produite était beaucoup trop faible pour traverser les quatre-vingts kilomètres de fer qui séparaient le hangar de la surface, et que les produits de la combustion seraient récupérés et recyclés automatiquement. Gestra pouvait donc s’adonner, la conscience tranquille, tous les deux ou trois mois, à ce petit plaisir.

Aujourd’hui, le feu était alimenté par quelques vieilles tapisseries dont il s’était récemment fatigué, quelques épluchures de légumes de ses derniers repas et une certaine quantité de copeaux et de sciure de bois provenant de son passe-temps favori, qui était de construire des modèles réduits de voiliers anciens à l’échelle du cent vingt-huitième.

Il avait vidé la piscine de ses quartiers pour la transformer en une plantation forestière et exploitation agricole miniature ; pour cela, il utilisait une partie de la biomasse qui leur avait été fournie au Mental et à lui ; il y faisait pousser des arbres nains qu’il coupait et débitait pour fabriquer les mâts, espars, vergues, bordages et autres parties en bois dont il avait besoin. D’autres bonsaïs de sa forêt lui fournissaient des fibres qu’il tressait, toronnait et lovait en cordages, haubans ou écoutes. D’autres plantes encore donnaient des fibres plus fines qu’il tissait, sur de minuscules métiers qu’il avait fabriqués, pour en faire des voiles. Les parties en fer et en acier provenaient de matériaux grattés sur les parois mêmes de Pitance. Il fondait le métal dans un fourneau miniature pour le débarrasser de ses dernières traces d’impuretés, le laminait dans un laminoir miniature actionné à la main, le coulait à l’aide de cire et de minerai fin comme du talc ou le tournait sur des tours microscopiques. Un autre fourneau servait à fondre le sable – prélevé sur la plage attenant à l’ex-piscine – pour faire des feuilles de verre très fines qui lui permettaient de fabriquer des hublots et des lucarnes. La biomasse des systèmes de support de vie lui fournissait également de quoi fabriquer des huiles et des goudrons pour calfater les coques et graisser les cabestans, les treuils et autres machines. Sa matière première la plus précieuse était le laiton, qu’il était obligé de récupérer sur un antique télescope que lui avait offert sa mère (avec une remarque ironique qu’il avait depuis longtemps préféré oublier) lorsqu’il lui avait annoncé sa décision de partir pour Pitance. (Sa mère était à présent en Stockage, il l’avait appris par une lettre que lui avait envoyée une arrière-petite-nièce.)

Il lui avait fallu dix ans pour fabriquer les petites machines qui lui avaient servi à fabriquer les voiliers. Chaque navire avait occupé vingt années de son temps. Et il en avait construit six jusqu’à présent, chacun plus réussi et un peu plus grand que le précédent. Il était en train d’en terminer un septième. Il ne lui restait plus qu’à coudre les voiles. Les chutes et la sciure compactée qu’il brûlait étaient ses derniers déchets.

Le feu tirait bien. Il fit du regard le tour du hangar environnant, respirant très fort dans sa combinaison. Les soixante-quatre vaisseaux rangés ici étaient des Unités d’Offensive Rapides de la classe Gangster, en forme de cylindres segmentés de plus de deux cents mètres de haut sur cinquante de diamètre. La faible lueur du feu de bois ne portait pas, pour une vision normale, jusqu’aux nez en forme de flèche des vaisseaux spatiaux. Il fallait qu’il presse la surface de commande de l’avant-bras de son antique combinaison pour intensifier l’image affichée sur sa visière-écran.

Les immenses bâtiments donnaient l’impression d’avoir été tatoués. Leurs coques étaient couvertes d’une étonnante profusion de motifs et d’arabesques, d’un méli-mélo fractal de couleurs, textures et agencements occupant chaque millimètre carré de coque. Il avait déjà contemplé ce spectacle des centaines de fois, mais il le fascinait et l’émerveillait toujours autant.

En quelques occasions, il s’était laissé flotter jusqu’au nez de certains de ces vaisseaux pour toucher leurs peaux, et même à travers l’épaisseur des gants de sa combinaison millénaire, il avait senti leur surface rugueuse, sillonnée, ridée, incrustée. Grâce aux lumières de la combinaison et à sa visière-écran grossissante, il avait pu les étudier de près, de très près, même, se perdant dans des couches superposées de complexité et de conception. Finalement, il avait laissé la combinaison utiliser un balayage électronique et attribuer de fausses couleurs aux surfaces affichées, mais cela n’avait diminué en rien la complexité, qui s’étendait jusqu’au niveau atomique. Il était remonté à travers les couches et niveaux de motifs, figures, mandatas et arborescences, la tête bourdonnant de toute cette complexité extravagante et soûlante.

Gestra Ishmethit se rappelait avoir vu des projections de vaisseaux de combat qui choisissaient à volonté la couleur de leur coque. Ils étaient habituellement noirs ou totalement réfléchissants quand ils ne se dissimulaient pas derrière un hologramme du décor où ils se trouvaient, mais il n’avait pas souvenance d’avoir jamais aperçu d’aussi étranges motifs. Il avait consulté les archives du Mental. Il y avait trouvé confirmation que les vaisseaux étaient arrivés ici avec des coques normales, aux couleurs unies. Écrivant sa question sur son terminal, comme il faisait toujours quand il voulait communiquer avec lui, il avait demandé au Mental :

Pourquoi vaisseaux comme si tatoués ?

Et le Mental avait répondu :

Considère cela comme une forme d’armure, Gestra.

C’était tout ce qu’il avait pu en tirer.

Il avait donc décidé de se contenter de demeurer perplexe.

Les flammes pâles projetaient des veinules tremblotantes de lumière à peine visible autour des cylindres énigmatiquement décorés. Le seul bruit était celui de sa respiration. Il se sentait merveilleusement seul ; même le Mental était incapable de communiquer avec lui tant qu’il n’activait pas le communicateur de sa combinaison. Le lieu était parfait ; la solitude était totale et complète ; paix et tranquillité, et ces petites flammes dans le vide. Il baissa de nouveau la tête pour regarder les braises.

Quelque chose brilla à proximité du sol du hangar, à deux kilomètres de là.

Son cœur sembla se figer.

La chose jeta un nouvel éclat. Quoi que ce fût, cela se rapprochait.

D’une main frémissante, il activa son communicateur.

Avant que ses doigts tremblants aient eu le temps de taper une question destinée au Mental, l’afficheur de sa visière s’éclaira.

Gestra, nous avons de la visite. Veuillez regagner vos quartiers.

Bouche bée, il fixait l’écran d’affichage, les yeux agrandis, le cœur battant à coups redoublés dans sa poitrine, les idées tourbillonnant dans sa tête. Les lettres lumineuses ne s’effaçaient pas. Il les relut fébrilement, les examina une par une à la recherche d’une erreur, d’un autre sens à donner au message, mais elles répétaient la même phrase, elles livraient toujours la même signification.

De la visite. De la visite. Qui ? Quelle visite ?

Pour la première fois depuis un siècle et demi, il ressentit de la terreur.

Le drone qui brillait dans l’ombre, celui que le Mental lui avait envoyé parce qu’il n’arrivait pas à le joindre sur le communicateur de sa combinaison, dut le porter littéralement chez lui tant il tremblait. Il s’était occupé, avant cela, de ranger la bouteille d’oxygène, après l’avoir refermée.

Derrière lui, le feu brilla encore faiblement dans le noir durant quelques secondes, puis il succomba au vide glacial et s’éteignit d’un coup.

Excession
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